Esprit curieux, mais pas crédules.
Une boussole, un phare pour mieux naviguer dans le brouillard des idées scientifiques, ésotériques et les autres entre-deux.
Il y a quelques jours, je suis tombée sur un texte vantant les mérites d’une « conscience supérieure » à venir, l’apparition d’une capacité «supramentale » aux effets spectaculaires. C’est le genre de discours anciens, Aurobindo1 en tête, puis des reprises marchandes à la pelle, qui me fait lever un sourcil. Comme prévu, à la dernière ligne, il ne restait rien de vérifiable et je ne savais toujours pas de quoi il retournait vraiment… ou plutôt, je le savais trop bien.
J’étais devant des idées recyclées, remaquillées en concept neuf, surfant à la fois sur un récit d’évolution de la conscience et sur les insécurités liées à l’IA. C’est de là qu’est née cette idée de phare, non pas pour ridiculiser qui que ce soit, mais pour garder l’esprit ouvert sans absorber n’importe quoi. C’est aussi parce que j’ai connu quelqu’un qui y a perdu plus que sa crédibilité et qui a souffert de ce type de mécanisme d’emprise intellectuelle : des promesses invérifiables vendues comme des évidences et blindées contre le doute, sophisme du vrai initié : tout contre-exemple est disqualifié par un « t’as pas le niveau de conscience requis » sans appel.
Ce billet n’attaque personne : il outille.
Objectif : lire sans se faire avoir au sujet de l’IA, de la « conscience supérieure », des énergies vibratoires et autres promesses remises au goût du jour, même le bracelet émetteur d’ondes binaurales pour aider à mieux dormir.
C’est un fait, les mots voyagent plus vite que les preuves. Entre techno-miracles et spiritualités rebaptisées, on confond trop souvent témoignage et donnée, métaphore et mécanisme. Voici des réflexes simples pour garder l’esprit curieux… mais pas poreux.
8 réflexes en jolie liste sans bullet points… tout le monde aime les listes!
Définir d’abord: Dire ce que c’est, et ce que ce n’est pas
Observer: Indice, mesure, signe distinctif : comment le voit-on?
Prévoir l’échec, l’erreur: Quel résultat ferait dire « je me suis trompée »?
Couper les métaphores: « Vibratoire », « fréquence », « énergie », ça veut dire quoi? Demander des traductions en termes observables et, encore mieux, mesurables, sinon on passe
Séparer les registres: Un témoignage n’est pas une donnée; la poésie n’est pas une preuve
Exiger le comment: Il doit y avoir une procédure minimale pour essayer demain, pas un vague « écoute ton ressenti » seulement
Regarder la source: Qui parle, d’où, avec quelles références vérifiables?
Chercher l’effet concret: Qu’est-ce que ça change, pour qui, avec quels avantages et quels risques?
Le tout en trois questions:
De quoi parle-t-on, précisément ?
Comment ça se mesure, concrètement ?
Qu’est-ce qui l’infirmerait ? Et, à l’inverse, qu’est-ce qui rendrait la chose plus solide
Red flags fréquents, avec, enfin, des bullet points, même si tout le monde déteste les bullet points !

À quoi faire attention:
Des mots aux définitions introuvables: Jargon creux, vocabulaire pseudo-scientifique, sans définition claire. On demande une définition opératoire : des indicateurs, une méthode, un contexte et les cas d’exclusion, s’ils s’appliquent
Une autorité toute subjective: « Je le vis/je le sais ». C’est bien intéressant, mais non vérifiable sans méthode
Des analogies à la place d’explications: « Comme la quantique », « comme l’évolution »… d’accord, mais par quel mécanisme exactement?
Du bon usage du science-washing: Des mots savants servis sans source ni résultat précis
Appel à la techno-épouvantail / techno-magie: On diabolise ou on sacralise l’outil alors qu’on devrait fournir des données et des indicateurs
Les contradictions demeurent non traitées : On promet tout et son contraire, sans conditions ni contexte
La corrélation confondue avec la causalité: Des effets sont attribués sans groupe de comparaison
Des tas de promesses invérifiables: « Débloque le potentiel », « améliore la qualité », mais sans mesures précises
Cherry-picking: Des exemples qui confirment, mais silence-radio sur les contre-exemples
Aucun protocole, aucun échec possible: Si tout confirme, rien ne prouve
Ces repères ne servent pas à disqualifier des pratiques culturelles ou rituelles; ils s’adressent aux promesses générales qui revendiquent un statut “objectif” sans méthode, ou qui se vendent comme solutions pour tous.
Mode d’emploi (sans s’arracher la tête)
Questionner, sans ridiculiser : « J’aime bien l’idée. Quelle définition vérifiable proposes-tu? »
S’informer du comment faire : « Si je veux l’essayer demain, quelles étapes dois-je suivre? »
Cadre : « Quel résultat t’obligerait à revoir ton hypothèse? »
Déshabiller les métaphores : « Une “fréquence” possède une grandeur mesurable… laquelle est-ce dans ce cas-ci ? »
Fermer poliment la porte au flou artistique : « Sans protocole et critère d’échec, je classe ça en récit personnel (intéressant), pas comme une règle qui vaudrait pour tout le monde »
Et en pratique?
Voyons comment on peut appliquer le tout à une hypothèse en vogue dont l’affirmation de départ se lit comme suit:
« Dix minutes de respiration consciente par jour améliorent la concentration. »
Qu’est-ce qu’on entend par “concentration” (en vrai)?
Rester sur sa tâche sans être distrait, terminer plus vite, faire moins d’erreurs, et avoir l’impression d’être dedans.
Comment vérifier de manière simple et à la maison, que cette méthode de respiration fonctionne vraiment :
On choisit une tâche toujours semblable : une page de sudoku de même niveau, cinquante additions/soustractions simples, ou un jeu des douze erreurs, différences
Pendant deux semaines :
Semaine 1 / le test : on fait dix minutes de respiration consciente (inspire quatre secondes, retiens six secondes, expire huit, sans musique), puis on fait l’activité choisie.
Semaine 2 / le contrôle : dix minutes de lecture calme, puis on fait la même tâche, à la même heure, au même endroit, pas de café dans l’heure précédente, cell en mode avion
On note après chaque essai le temps nécessaire pour finir, le nombre d’erreurs, et le ressenti de concentration (tout à fait subjectif, mais c’est tout ce qu’on a).
On sait que ça marche si la semaine “respiration” fait mieux sur deux critères et plus, soit un temps plus court ou moins d’erreurs et/ou un meilleur ressenti, pour un mimum de trois jours sur la semaine.
On sait que ça ne marche pas si aucune amélioration ne se répète ou si c’est aléatoire d’un jour à l’autre. L’expérience sera donc considérée comme non-concluante pour l’instant.
Cette petite méthode, à appliquer pour tout, vraiment tout, ne chasse pas l’émerveillement, elle lui donne des appuis.
Définir, observer, tester
Si une idée passe ces trois portes, elle gagne en solidité; sinon, on la met de côté, on l’oublie et on ne la diffuse pas à tout vent comme une vérité immuable, seulement accessible à certains « initiés », sous prétexte que les autres n’ont pas encore atteint le niveau de conscience requis pour mieux « voir ».
Et on juge les idées, jamais les personnes.
Naturellement, les trois questions vues plus haut s’appliquent aussi à mes écrits!
Le mot « supramental » vient du philosophe indien Sri Aurobindo (1872-1950), développé dans The Life Divine et son yoga intégral : une « conscience-vérité » censée transformer l’humain. Sa collaboratrice Mirra Alfassa (« La Mère ») en a prolongé la diffusion (ashram de Pondichéry; fondation d’Auroville en 1968). Depuis, le terme a été largement réapproprié — de l’ésotérisme (par exemple Bernard de Montréal) aux coachings « évolution de conscience » avec des interprétations et promesses très variables par rapport au cadre d’origine.