Je ne serai jamais Marguerite D
Et ça me va très bien!
Ma tête est encore pleine de mes derniers travaux et des réflexions qu’ils ont fait remonter, sur la littérature, sur la valeur qu’on lui attribue, et sur la manière dont on transforme parfois la souffrance en vocation.
Je ne serai jamais Marguerite Duras, ni Nelly Arcan, ni Virginia Woolf.
Et je n’en suis pas triste, bien au contraire.
Une vie passée à écrire toujours la même scène, à souffler sur le meme noyau incandescent, à s’y brûler les ailes et le reste… avec l’obligation psychique de toujours y revenir, pauvre âme attachée à son malheur par une chaine de trois pieds, Sysiphe poussant sa pierre rien que pour le plaisir de recommencer. Ça prend un talent particulier, une fidelité au malheur que je n’ai pas… ou une manière d’habiter l’écriture qui m’est désormais étrangère.
Je ne crois pas que l’écriture comme thérapie soit très efficace et je dis ça en prenant en considération l’état mental des autrices nommées plus haut… deux suicidées, une morte d’alcoolisme… bon, je sais, faut bien mourir, mais je crois que mourir de rien à 101 ans me sera plus soutenable qu’un restant de vie torturée dans la tête, le corps et le coeur, en se grattant le même bobo jusqu’à la septicémie.
Ce n’est pas un jugement moral. C’est un constat sur une certaine manière d’habiter l’écriture, que je reconnais,
et que je refuse.
Oui, on peut faire œuvre d’un trauma. On peut décliner la même scène sous tous les tons, en faire un pèlerinage obligé, un paysage creusé à force d’y revenir, un lieu où l’on s’agenouille pour toute une vie. J’ai connu, moi aussi, une période de démolition psychique. J’aurais pu en faire mon œuvre. Peut-être que cela aurait été reconnu. Peut-être pas.
J’ai commencé les études avec cette idée là, celle de mettre en scène mes trauma, d’en faire le sujet de mes écrits, le coeur de mon oeuvre éventuelle.
Mais j’ai bifurqué.
J’ai pris une autre voie.
Je n’ai pas d’œuvre à défendre, ni de posture à incarner. Je n’écris pas pour sauver ma peau, ni pour prouver quoi que ce soit. J’ai laissé derrière moi la partie souffrante, ou peut-être est-ce elle qui s’est retirée d’elle-même. Je ne crois pas entièrement au volontarisme dans ces états. Les choses arrivent, sans demander la permission. On se découvre un jour en morceaux, on traverse, on se fait aider, et puis un jour, on se retrouve. Différente, mais revenue à soi.
Aujourd’hui, je serais incapable d’écrire depuis cette douleur. Elle est loin. Très loin. L’espace qui hurlait n’est plus là. La colère immense, la démesure émotionnelle, la lutte permanente : tout cela appartient à un autre temps.
J’écris autrement, maintenant.
Plus légèrement, peut-être.
Plus librement, surtout.
J’écris souvent, presque tous les jours, sans me forcer, sans me raconter d’histoire sur ce que cela devrait devenir. J’écris parce que ça circule. Parce que ça pense parfois tout seul. Parce que j’aime ça.
Et c’est vraiment la seule raison.





Sage. J’en suis à ce point de jonction dans mon écriture: ai-je fait le tour de mes limitations physiques pour voir autre chose?