Le chalet n’était pas censé être là. Pas tout à fait là en tout cas. Sur la carte, il apparaissait plus bas, au bord du lac. Sauf que, il n’y avait pas de lac. Seulement un marais vert, stagnant, avec des arbres décharnés qui penchaient sur lui comme de grands malades.
Ils ont quand même décidé d’y rester. Le réseau passait mal, la route était loin, et après ce long trajet de quatre heures, personne n’avait envie de remonter en voiture.
Le premier soir, tout semblait normal : le feu dans la cheminée, les bières, le weed, les jeux de société, les rires trop forts. C’est au moment de se coucher que les bruits ont commencé. Un craquement sous le plancher. Puis un autre, plus long, comme si quelqu’un, quelque chose, rampait en dessous du chalet. Ils ont ri encore, un peu nerveusement, et haussé le volume de la musique.
Le lendemain, la porte arrière était ouverte. Des traces boueuses montaient jusque dans la cuisine. De grandes empreintes nues, les orteils écartés. Trop grandes pour appartenir à l’un d’eux. Ils ont cherché dehors, bien sûr. Le jour rendait tout risible : les arbres, les traces, la peur de la veille. Tous se soupçonnaient les uns les autres d’être à l’origine de ces mystérieuses traces et des bruits inquiétant de la nuit. Ce n’est qu’un autre tour pour créer des souvenirs effrayants, mais inoubliables. Sauf qu’au retour, ils ont remarqué quelque chose d’impossible à simuler. Le marais s’était rapproché. À moins d’un mètre du perron. L’eau verte respirait dans un clapotis brunâtre. On aurait juré qu’elle montait, lentement.
La deuxième nuit, personne n’a dormi. Quelque chose frappait sous la maison, régulier, patient. Un bruit de poing ou de tête cognant contre le bois. Par la baie vitrée donnant sur la forêt, des ombres apparaissaient entre les troncs d’arbres noueux, des formes d’ours, de Yétis, d’hommes géants, de gorilles, de sorcières aux nez crochus, d’extra-terrestres aux yeux rouges et lumineux. Ils ont filmé, crié, supplié, enregistré tout ce qu’ils pouvaient, en jurant à tous les dieux de mener une vie exemplaires s’ils s’en sortaient vivants. Au matin, la porte d’entrée donnait directement sur l’eau.
Les vidéos découvertes sur un cellulaire retrouvé au milieu de la forêt montrent des clichés de ce weekend entre amis, l’arrivée, les jokes, les rires, mais aussi un dernier moment : quelqu’un sort, cellulaire à la main, le souffle court. On le voit de dos, s’avancer lentement sur le balcon, sa chemise à carreau flottant juste au-dessus de l’eau glauque, sa barbe tremblotante, cachant son menton. Le marais bouge d’un seul coup, se soulève comme une poitrine qui inspire. Un visage émerge, sans yeux, mais parfaitement humain. Il murmure quelque chose que le micro n’a pas capté. Puis l’image s’arrête, passe au noir, plus rien.
Le chalet n’a jamais été retrouvé, mais parfois, sur certaines cartes satellites, on distingue encore quelques rectangles sombres dans la vase, les fondations possibles d’un bâtiment, et des rectangles plus petits, ressemblant à des carcasses de voitures submergées. Et, tout autour, des cercles concentriques, comme si quelque chose continuait à respirer, dessous.