Je rentre tard du travail, vidée. La fièvre me ronge doucement, un rhume banal mais insistant. J’ai la gorge en feu, la peau moite, les pensées en coton.
Dans ma tête, la voix d’un ami résonne : « Un grog, Johanne, c’est ça qu’il te faut. Gin chaud, citron, miel. Un vieux remède. »
Alors je fais chauffer l’eau, je verse l’alcool, j’ajoute le miel. Je bois lentement, emmitouflée dans une grosse doudou, tout en visionnant un vieux film, convaincue que cette chaleur piquante va me délivrer.
Mais deux heures plus tard, rien. Le rhume reste bien accroché, la fatigue plus lourde encore. Alors je vais chercher ce qui me paraît plus sûr, plus moderne, plus efficace : un sachet orange de Neo Citran (une poudre médicamenteuse à diluer dans l’eau chaude, mélange de paracétamol, d’antihistaminique et de décongestionnant, courante en Amérique du Nord et ailleurs).
Je le déchire. Je ne pense pas, en versant la poudre, au grog que j’ai bu plus tôt. La poudre coule dans la tasse fumante, tourne en volutes opaques dans l’eau bouillante, dégageant une odeur de faux citron, chimique et sucrée, presque écœurante. Je bois jusqu’à la dernière gorgée, au lit avec le dernier roman de Stephen King.
Puis j’éteins, je me couche, certaine que bientôt, le sommeil fera son œuvre. C’est sans compter ces deux breuvages qui, en s’additionnant, se tordent déjà dans mon sang fiévreux.
Et c’est là que tout bascule.
D’abord, un battement plus fort que les autres. Puis un deuxième, plus violent encore.
Mon cœur se met à cogner de plus en plus vite, comme un animal pris au piège, hurlant dans ma poitrine. Il s’emballe : 120 battements par minute… 140… 155… puis plus encore. Je le sens jusque dans mes doigts, jusque dans ma gorge.
Je suis allongée, immobile, mais c’est comme courir à perdre haleine sans pouvoir s’arrêter.
La panique jaillit.
J’attrape le téléphone, je compose le 811.
Un grésillement, puis une voix féminine. Douce, trop douce. Sirupeuse. Moqueuse.
— Ne vous en faites pas, dit-elle. Vous allez très bien dormir…
Je veux répondre, mais mes mots s’écrasent dans ma gorge sèche.
Et puis le rire vient. Sec, grinçant, presque inhumain. Un rire de sorcière.
— Dors… dors… ton cœur ne fait que chanter…
Mon souffle se coupe net. Ce n’est pas une infirmière. C’est autre chose.
La voix s’allonge, se distord, comme si elle sortait du combiné pour s’insinuer dans ma chambre. Je vois ses lèvres invisibles se tordre au-dessus de moi.
— Tu as bu la potion, croasse-t-elle. Maintenant dors. Dors pour toujours.
Et l’idée du sommeil, loin de m’apaiser, devient une menace.
Derrière mes paupières lourdes, je sens une eau noire m’attendre, un gouffre où chaque respiration serait la dernière. Si je lâche prise, je ne reviendrai pas.
Alors je résiste. Chaque fois que mes yeux se ferment, une silhouette s’approche, assise au bord du lit, froide, patiente. La Mort elle-même, peut-être, son souffle glacial sur mon front.
La nuit dure une éternité. Le cœur cogne sans répit, tambour obsédant. La voix du 811 rit encore dans le combiné resté ouvert, se nourrissant de ma terreur.
À l’aube, je suis encore là. Fatiguée, vivante, mais pas seule.
Depuis, je sens toujours une présence assise au bord de mon lit, invisible, patiente. La Mort ne m’a pas quittée : elle attend simplement la prochaine occasion.
Laisse-moi un ❤️ si ton ❤️ a aussi battu un peu plus fort…
Recette du grog ancestral
(ou comment préparer une potion qui réchauffe… mais qui pourrait réveiller d’autres forces)
Ingrédients
120 ml (1/2 tasse) d’eau bouillante — que la vapeur monte comme une fièvre.
30 ml (2 c. à soupe) de gin, rhum ou d’eau-de-vie/liqueur de fruits, au choix — l’alcool qui chauffe et décale.
1/2 c. à soupe de miel — doux, mais collant.
1 tranche de citron — mince comme une lame.
Ustensiles
1 petite casserole — pour faire bouillir la chose.
1 cuillère — pour remuer, insister, mêler.
1 verre ou 1 tasse — pour tenir la potion chaude entre les mains.
Préparation
Porter l’eau à ébullition dans la petite casserole — laisser le frémissement s’emballer.
Mettre le miel (1/2 c. à soupe, ou au goût) et les 2 c. à soupe (30 ml) de gin, rhum ou d’eau-de-vie dans la tasse.
Verser 120 ml (1/2 tasse) d’eau bouillante dessus, laisser la vapeur s’élever, puis déposer la tranche de citron comme un sceau.
Boire bien chaud — tant que la brûlure couvre encore le froid qui pourrait suivre.
À toi de voir si tu oseras goûter cette potion, maintenant que tu en connais l’histoire…