La nuit a modifié le décor
Le silence est épais, presque solide.
La neige nouvelle, première de la saison, étale une lumière bleutée sur les vitres.
Au petit matin, elle tire le rideau, regarde dehors.
Au centre du driveway, trois empreintes.
Deux gauches. Un droit.
Aucune trace d’arrivée ni de départ.
Elles ne semblent pas posées, mais calculées.
Et, l’écart entre chacune est identique.
L’angle exact : 137 degrés.
Une perfection qu’aucun pas humain n’aurait pu produire.
Elle descend, enfile ses bottes, sort.
Le froid lui mord les joues.
La neige ne crisse pas, elle vibre sous ses semelles.
Sous la surface, un son se fait entendre, grave, régulier,
comme un instrument de mesure.
Autour des empreintes, des lignes fines apparaissent, tracées par le givre.
Elles s’étirent, s’allongent, convergent vers les murs, le toit, les arbres.
Elles ne s’arrêtent pas à la maison :
elles la contournent, la découpent, la répertorient.
Elle recule, glacée.
La forme grandit, se déploie,
dessine une figure qu’elle ne parvient pas à saisir d’un seul regard.
Un motif impossible,
comme une géométrie qu’on ne devrait pas comprendre.
Puis la lumière change.
Tout devient immobile.
Sur la vitre intérieure, un dernière ligne se trace sur le frimas.
Un symbole.
Une signature.
Elle comprend, alors, que la maison —
et tout ce qu’elle contient —
a été relevée.
Cataloguée.
Inscrite dans un plan dont elle ignore l’échelle.
Elle pense soudain à ces cartes anciennes où l’on écrivait :
hics sunt dracones.
Ici aussi, désormais,
quelqu’un a tracé les contours,
une cage virtuelle où les humains sont désormais conscrits
La neige vibrante, chaque flocon animé de sa propre force, ne dépend plus du vent. Merci!