Reflets dans un sapin
Petit conte de Noël, sur un air mélancolique
Cette année, pour la première fois, il m’a fallu une semaine entière pour décorer le sapin de Noël.
Déjà, l’idée même d’aller l’acheter ne me disait rien. Et puis nous l’avons choisi trop grand. Pas trop grand, mais juste assez pour qu’il paraisse déplacé dans notre petit salon, comme un invité qui se serait trompé de party.
Les deux premiers jours, nous l’avons laissé dégeler, au milieu de la pièce. Je me disais qu’il lui fallait ce temps pour s’étirer, respirer, s’habituer à la tiédeur nouvelle après tant de nuits glacées. Je le voyais sans vraiment le regarder, son silence occupant tout l’espace.
Quelques jours plus tard, les guirlandes lumineuses se sont allumées.
Mon mari, plus enthousiaste que moi, s’est proposé pour cette tâche et n’a pas tardé. Il parlait toujours de “l’esprit de Noël”comme s’il suffisait d’appuyer sur un interrupteur pour le rallumer. Il m’a fallu encore du temps pour finalement commencer à suspendre les boules rouges, vertes et dorées, puis pour ceinturer ce petit géant avec la grande guirlande torsadée qui serpente de haut en bas entre ses branches trop touffues.
Il est beau, oui. Mais à cause de ses dimensions un peu excessives, j’ai l’impression qu’il en veut plus : plus de lumière, plus de couleurs, plus de vie. Comme un ogre affamé que je n’arrive pas à rassasier. Il semble écouter, attendre. Tant pis. Je n’ai pas l’énergie d’ajouter quoi que ce soit. Et… pour qui ?
Il n’y a plus d’enfant pour s’émerveiller devant mon sapin, et je crois qu’il n’y en aura plus jamais. Noël change quand personne ne l’attend.
Les miens sont devenus grands, trop grands pour ces fêtes qui ne rassemblent plus, mais occupent seulement une portion du calendrier. Ils fuient la contrainte, la dépense, les rituels qui pèsent comme des souvenirs usés. Alors les images d’autrefois reviennent, vives et fragiles.
Moi, petite, accroupie devant l’arbre, admirant mon reflet dans une boule de verre que les ampoules faisaient miroiter de mille éclats. Mon père, absorbé, construisait un petit monde au pied du sapin : un village de pacotille, des arbres, quelques animaux, et des silhouettes patinant sur un miroir devenu lac gelé.
C’était si beau que mon cœur d’enfant se gonflait de joie. J’étais certaine que c’était cela, la magie de Noël : voir la vie miniature s’animer dans la lumière.
Ce soir, en rangeant les décorations, j’ai ouvert un carton oublié.
Sous des guirlandes emmêlées, une petite boîte dormait. Je ne me souvenais plus de l’avoir gardée. À l’intérieur : quelques figurines ébréchées, un arbre minuscule, et un miroir terni par le temps.
Je les ai déposés au pied du sapin, sans réfléchir. Le miroir a saisi un instant de lumière, fragile et vacillant.
Dans ce reflet flou, quelque chose en moi s’est reconnu.
Ce n’était pas la joie.
Ce n’était pas la magie d’autrefois.
Je suis restée là un long moment, sans bouger, à regarder la lumière se déplacer lentement sur le mur. Quand elle a fini par disparaître, j’ai éteint les guirlandes.
La maison est redevenue sombre, mais, quelque part en moi, le reflet continuait de trembler.




Je suis un vieux grincheux, peut-être parce que mes anniversaires étaient presqu!occultés par la noellitude. Mais je t’envoie es meilleurs vœux, pas grincheux du tout!
Tu m’as beaucoup ému. Y’ a-t-il une photo de ces petites figurines ? 😇