Par une nuit d’automne, battue par la pluie et le vent.
Il y a longtemps, dans ma vieille maison au bord de l’eau.
Les chiens s’excitaient en bas.
Oui, les chiens : on en avait deux, des Schnauzers à moustaches de colonels, un gros et une petite.
Lui dormait.
Moi, pas.
J’ai ouvert la porte pour voir ce qui les énervait comme ça.
Palier. Silence.
Sauf les jappements et les geignements des poilus.
La porte d’entrée grande ouverte, pourtant.
Comme une bouche béante dans la nuit pluvieuse.
Pas d’autres bruits que le vent.
Et mon cœur qui cognait.
Et les cristifis de chiens qui chignaient.
Je ne l’ai pas réveillé. Inutile.
Rien n’est jamais grave pour lui.
Il m’aurait suggéré de me rendormir, juste comme ça, sans savoir, sans vérifier.
Sans faire le tour, histoire de s’assurer qu’aucun Freddy Krueger ou Michael Myers n’attendait que notre sommeil pour nous trucider allègrement — nous et les chiens aussi.
Faque, j’ai pris la batte de baseball.
Dans le placard.
La batte « au cas où », pour les nuits où je dormais seule, pour les nuits où il dormait trop.
Descente.
Escaliers craquants.
Lampe de poche dans une main, batte dans l’autre.
J’ai poussé la porte d’un coup de pied, appuyé dessus de la hanche, pour m’assurer de la bien refermer.
Cuisine vide.
Vue sur la rivière, invisible dans la nuit.
Rideaux gonflés par la lueur fantômatique de la faible lune, coincée entre deux nuages mouvants.
Vision troublée par la pluie
Les ombres trop longues.
Le silence trop fort.
Rien d’autre à signaler.
J’ai continué bravement, seule avec les deux chialeux finalement muets sur mes talons, dans le noir.
Et lui dormait.
Dehors, le vent hurlait.
Dedans, le silence cognait plus fort que la tempête.
La cave.
Terre battue. Odeur d’humidité.
Des recoins partout.
M’a-tu aller là, moi?
Bin oui, faut bin, si je veux me rendormir tranquille.
Trop de recoins. Trop d’araignées. Trop de poussière. Trop de craquements.
Même les chiens n’y descendent pas.
Chaque marche me tirait plus bas, comme si la maison me voulait sous terre.
Comme si elle avait refermé ses murs derrière moi.
J’ai avancé dans le faible halo de la lampe de poche.
Souffle court.
Muscles raidis.
Doigts crispés sur la batte.
Prête à frapper un homerun du crisse.
Chaque pas grinçait trop fort.
Chaque ombre bougeait trop vite.
J’étais seule dans le noir, avec même pas un poilu pour me sauver.
Lui, il dormait.
Sursaut du maudit au bruit de chaudière au mazout qui soudain s’excite.
Mais rien, rien, toujours rien ni personne sur mon chemin, heureusement.
Première marche pour remonter.
Enfin.
J’ai soufflé, soulagée.
Un instant. Trop court.
Et soudain, la batte m’a échappé.
Arrachée. Une poigne glaciale sur mon bras.
Je me suis retournée.
Prête à hurler.
C’était lui.
Il m’avait suivie tout au long de mon périple, alors que je le croyais endormi.
Je n’ai rien vu, toute entière à mon enquête.
Il souriait.
Mais je n’étais pas sûre que ce soit vraiment son sourire.
Pourtant, il dormait…
Et cette histoire est vraie.