Inspiré de ma relecture à des années lumières de la première, lors de sa parution.
Elle enfile le prénom de sa soeur morte comme on passe une robe trop serrée : ça tire aux coutures, ça marque la peau. Une robe de pute qui ne laisse rien à l’imagination. Dans la chambre, les hommes, des maris, des pères, prononcent ce prénom sans hésiter, convaincus que c’est bien elle, alors qu’elle est déjà ailleurs.
Chaque billet froissé confirme l’échange : elle offre son corps, mais c’est la sœur morte qui encaisse.
Parfois, au moment de se déshabiller, elle ressent un frisson qui ne vient pas d’elle. Comme si la peau de la disparue se plaquait sur la sienne, épousant ses gestes, conduisant ses mains, frémissant sous les assauts de ces hommes plus âgés qu’elle. Ils la touchent sans l’aimer, alors que son propre père l’aime sans jamais la toucher. Quand la porte se referme enfin, elle lève les yeux vers la glace. Son reflet se dédouble, un autre visage, livide, plaqué contre le sien, la regarde sans trembler.
Alors elle ferme les yeux et imagine un conte. Dans ce conte, il n’y avait pas d’âne, pas de prince, seulement un manteau de chair étrangère qu’elle devait porter pour traverser la nuit. Le matin venu, elle tente de le retirer, mais le manteau reste collé, respirant encore. Une bête de cirque demeurée sauvage.
Comme un renard pris au piège, elle sait qu’il faudra se déchirer elle-même pour s’en libérer. Gruger sa propre chair, jusqu’à disparaître dans la fuite.