Le chien l’a chassé jusque dans l’arbre.
Un chat ordinaire, croyais-je. Mais il n’en est jamais redescendu.
Depuis, il reste là-haut. Immobile.
Ses yeux jaunes fixent la maison.
On pourrait croire qu’il pressent la mort.
Mais non.
Il l’incarne. Ici. Maintenant.
Il ne bouge presque pas.
Parfois seulement une oreille frémit,
ou sa queue bat lentement contre l’écorce,
comme le balancier d’une horloge invisible.
Son corps se confond avec la branche, mais ses yeux ne cillent jamais.
Toujours braqués sur moi.
Au bout de quelques jours, il n’aurait plus dû vivre.
Pourtant il était encore là, immobile, ses yeux jaunes fixés sur la maison.
On aurait pu croire qu’il pressentait la mort.
Mais la mort ne se pressent pas.
Elle se tient là, immobile,
et parfois elle prend la forme d’un chat.
Autour de lui, tout flétrit.
Les feuilles noircissent avant l’heure, l’écorce s’effrite,
et la terre au pied de l’arbre se fendille, exhalant une odeur de cave.
Même l’air a changé : lourd, épais,
avec ce goût métallique qui colle à ma langue.
Le chien refuse d’approcher.
Il gémit dès que j’ouvre la porte,
il gratte le plancher pour rester dedans.
Et j’attends, moi aussi,
tout en feignant l’indifférence.
Mais chaque soir, quand le vent gonfle les branches, le son revient.
Pas un miaulement.
Pas un cri.
Un ronron.
Trop grave. Trop long.
Un grondement qui roule comme une coulée de pierres dans ma poitrine.
Et dans ce ronron, il y a des mots,
coupés, rugueux, trop humains pour n’être qu’un souffle :
« Nev’rrrmorrrr… Nev’rrrmorrrr… »
Les voisins passent plus vite qu’avant.
Certains détournent la tête, d’autres ne reviennent plus.
Tous savent.
Le chat guette.
Et son guet est une menace.
Il vient d’incliner la tête.
Un geste infime, mais je comprends :
il sait que je le regarde.
Ses yeux ne sont pas des flammes,
pas des reflets.
Deux trous béants, deux gouffres qui avalent la lumière.
Il ne pressent pas la mort.
Il est la mort.
Perché là-haut, il patiente.
Et moi, prisonnière en bas,
je sens que ce n’est qu’une question de temps.
Le moment approche.
Il attend que mes yeux se lèvent une fois de trop.
Alors je tomberai.
Non pas de l’arbre,
mais dans la nuit qu’il porte en lui.
En souvenir de mon Boubou, mon gros matou, mon ami, mon doudou… parti trop vite
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Ce texte fut créé vendredi dernier, alors qu’un chat, pas noir, a trouvé refuge dans le pin géant de ma cour. Je le comprends, le pauvre! Victime d’une poursuite sauvage par Sherlock, il a pris le plus court chemin vers une sécurité toute relative. Il ne savait pas descendre… De midi jusqu’à tard dans la nuit, il y est resté, malgré nos efforts pour lui rendre la sortie plus facile, plus digne. Nous, bin énervés, lui, pas stressé, l’air super zen… Le lendemain matin, à mon grand soulagement, il était parti…