Mon beau sapin
Ou comment un concours de Noël a décidé pour toujours qui choisit nos arbres.
Chaque fin novembre, au Marché Jean-Talon, l’hiver commence officiellement quand les vendeurs de sapins apparaissent.
Ce sont des êtres mystérieux : mi-marchands, mi-elfes nordiques, experts en nœuds de corde, et capables d’attacher huit sapins sur un seul Honda Civic sans cligner des yeux.
Le nôtre, on l’a trouvé il y a longtemps. On voulait un sapin naturel, fier et droit, on est repartis avec un arbre un peu croche, qui avait survécu à une tempête et probablement à deux divorces, mais on l’aimait déjà.
Au moment de payer, le vendeur nous a offert un coupon pour un tirage de Noël :
— Cinq cents dollars à gagner, madame. Donc vous n’avez aucune chance.
On a ri. Surtout lui.
Puis, la veille de Noël, le téléphone sonne.
Un homme à la voix grave, très grave, la voix officielle du Père Noël, estampillée qualité studio, nous annonce qu’on a gagné.
On a d’abord cru à une fraude, puis on s’est souvenus qu’on ne possédait rien qui valait la peine d’être volé.
C’était vrai. On avait gagné.
Depuis, chaque année, le même marchand revient au même coin du marché. S’il existe une carte fidélité des sapins, il nous la tamponnerait lui-même avec enthousiasme.
— Ah ! Les gagnants ! Vous revoilà ! J’ai trouvé LE sapin parfait pour vous.
Et il nous montre un arbre droit comme un militaire, parfumé à souhait, et qui coûte toujours un peu plus cher que celui d’à côté. (Le talent.)
On le croit, on paie, on repart fièrement avec notre arbre et trois nouvelles anecdotes.
Aujourd’hui, le temps passe, les modes changent, mais ce vendeur… lui ne change pas.
Chaque année, il nous reconstruit Noël comme s’il l’avait inventé, avec sa voix de baryton, son sourire gelé et ses gants troués.
Et quand il dit :
— Vous verrez, celui-là va tenir toutes ses aiguilles jusqu’à la Chandeleur !
…on le croit encore.
Même si, objectivement, on sait très bien que vers le 3 janvier il va ressembler à un peigne à raser.
Mais peu importe :
il nous a donné un miracle, il nous garde un sapin,
et surtout, il nous rappelle tous les ans qu’il existe encore des traditions délicieusement inutiles dont on ne se lassera jamais.
Parce qu’au fond, ce vendeur…
ce n’est plus juste un vendeur.
C’est notre Père Noël sous contrat saisonnier.



