Elle était venue pour marcher, seule avec son chien, mais la pluie sans fin la retenait. Ce n’est pas prudent de partir en montagne par temps incertain. Pourtant, le silence du chalet devenait trop lourd, l’ennui trop fort. Elle ne se tolérait plus, tournait sur elle-même comme un ours en cage. Même le chien évitait son regard, trop conscient de la suite des choses.
Alors, comme si les astres l’y poussaient, elle a pris le sentier qui grimpait derrière le refuge, malgré la pluie, malgré la brume, son fidèle berger sur ses talons.
Après tout, elle était ici pour ça.
Le mince ruban d’argile détrempée serpentait entre les troncs noirs. Elle devait se tenir aux branches basses pour ne pas glisser et s’aidait des mains dans les montées plus abruptes. L’air sentait la mousse et les champignons écrasés, la pluie accumulée, le bois pourri. Ses pas s’enfonçaient dans le sol spongieux avec un bruit de succion discret.
Tout semblait figé, suspendu dans une lumière laiteuse où les arbres ruisselaient lentement. Un paysage de conte de fées, plein de mystères cachés sous la nappe de brume qui s’épaississait à vue d’œil.
Au troisième ou quatrième virage, elle les a vus. Cinq randonneurs aux habits colorés, taches vives dans la grisaille. Le claquement régulier de leurs bâtons, le crissement des semelles sur la pierre humide.
Ils l’ont saluée d’un signe. Elle a répondu, un peu trop vite, soulagée de cette compagnie. Leurs voix sonnaient creuses, étouffées par la forêt, comme si l’air ne répercutait plus les sons, mais les avalait pour les recracher, mous, enrobés d’humidité.
Ils ont parlé du sentier, de la boue, du temps.
Un couple, deux adolescentes, un homme seul, tous courtois, sans curiosité. Des gens normaux, mais leurs vêtements semblaient d’une autre saison, d’un style légèrement daté, délavé par la pluie. Des habitués, sûrement.
Ils l’ont invitée à se joindre à eux : c’est plus prudent de marcher en groupe. Ils ont repris la montée tous ensemble, lentement, concentrés sur les pierres glissantes. Elle fermait la marche, le chien toujours sur ses talons.
Puis ils se sont fondus dans le voile gris.
Le lendemain, en cherchant le nom du sentier, elle est tombée sur un article :
“Disparition d’un groupe de randonneurs – Mont-des-Cèdres, 2022.”
Elle a cru à une coïncidence, jusqu’à la photo. Même groupe, sauf un, le photographe. Même disposition dans la pente. Et, à l’arrière, un sixième marcheur, flou, penché, presque effacé.
Mais c’était elle. Sa veste, son sac, ses cheveux détrempés. Son chien.
Datée du 21 octobre. Hier. Trois ans plus tôt.
Elle a voulu retourner sur place.
Mais le sentier était barré :
“Accès interdit – zone en restauration écologique.”
Le ruban jaune battait doucement dans le vent, comme un avertissement qu’elle ne comprenait pas encore.
Ce soir-là, la pluie a repris, plus fort toujours plus fort. Elle a allumé la télé pour se distraire, son chien à ses pieds. Journal local.
Le présentateur annonçait la découverte de cinq corps dans le parc du Mont-des-Cèdres. « — Ils seraient les membres d’un groupe de randonneurs disparus il y a trois ans. Un sixième marcheur — une femme accompagné de son chien — manque encore à l’appel ».
Elle a baissé le volume, troublée.
Dans la vitre, son visage tremblait sous les reflets du téléviseur.
Et juste derrière elle, on distinguait une forme floue entre les arbres, vêtue d’un imperméable détrempé. Un chien fidèle patientait juste à côté.
Tous deux la fixaient avec la patience d’un souvenir revenu trop tard.
omg Johanne c'est ben bon!!!
as-tu lu Avide Myriam Vincent? Moins creepy mais dans la même vibe un peu!!