Le Syndicat des monstres
(Procès-verbal de la séance extraordinaire du 9 octobre, Crypte centrale, 23 h 59)
Présidence : Comte Vladislav Draculea, Doyen des créatures nocturnes.
Secrétariat : Madame Spectra (représentante des entités translucides).
Ordre du jour :
Répartition des effrois pour la saison d’Halloween.
Discussion sur les conditions de travail jugées inhumaines par les Zombies unis.
Révision du budget sang/plasma 2025.
Divers.
Ouverture de la séance
Le président ouvre la séance en rappelant que « le climat social au sein des forces de la Terreur saisonnière demeure tendu ».
Il souligne que les humains, depuis quelques années, « ne prennent plus la peur au sérieux » et qu’il devient ardu d’obtenir un cri sincère sans recours à des applications de réalité augmentée.
Les participants acquiescent en grognant.
Point sur les effectifs
Les Zombies dénoncent le manque de cerveaux frais : « Les stocks sont périmés depuis la pandémie ».
Ils réclament un forfait cérébral hebdomadaire et des gants isolants.Les Vampires exigent la reconnaissance du travail de nuit comme risque biologique majeur et la mise à disposition d’un écran total indice 6000.
Les Loups-garous se plaignent de la réduction de leurs heures de transformation : « Avec le télétravail, les nuits de pleine lune sont moins fréquentées ! »
Les Fantômes demandent une prime de transparence et le remboursement des draps.
Les Sorcières contestent l’interdiction du vol en escadrille décidée par Transports Canada et réclament un corridor aérien exclusif entre les Appalaches et le mont Royal.
Interventions diverses
Une délégation de Momies arrive en retard, bloquée par un contrôle douanier : suspicion de marchandises antiques non déclarées.
Elles dénoncent la discrimination textile et réclament un budget bandages indexé au coût de la vie.
Le Diable lui-même intervient par visioconférence depuis les profondeurs :
« Les conditions se dégradent même en enfer ! On manque de charbon, et le gaz naturel coûte une damnation ! »
Il quitte la réunion en claquant des flammes.
Incident
À 1 h 03, les goules déclenchent un chahut général après qu’un spectre a traité les morts-vivants de « cadres rigides ».
Les citrouilles militantes du collectif Légumes Libres profitent du tumulte pour réclamer la fin des bougies internes et un congé post-Halloween.
Le président tente de ramener le calme en rappelant que « la peur est un bien public », mais un hurlement collectif couvre sa voix.
Résolution finale
Après trois heures de désordre, le syndicat vote à l’unanimité :
Article unique :
Tant que les revendications ne seront pas entendues, aucune créature ne se livrera à des activités d’épouvante, de hantise ou de morsure.
Halloween 2025 est suspendu jusqu’à nouvel ordre.
Addendum — Observations du secrétariat
Le Comité note que depuis plusieurs années, les affaires humaines connaissent une intensification remarquable de l’horreur ordinaire :
– le temps qu’il a fallu pour reconnaître certains massacres comme des génocides ;
– le retour au pouvoir d’hommes dont on croyait avoir vu le pire ;
– les fusillades scolaires qui ne méritent plus qu’une demi-colonne dans les journaux.
En conséquence, plusieurs délégués estiment que la charge symbolique de la peur est devenue inutile.
« À quoi bon hanter le monde, dit un fantôme, quand il se hante très bien tout seul ? »
Le Comte Draculea propose de rebaptiser l’organisation Syndicat des Monstres Désœuvrés, jusqu’à nouvel effroi.
Clôture
Le président quitte la séance en murmurant :
« Sans peur, les humains se croiront libres. Ils verront bien ce que cela fait. »
Note du secrétariat (rédigée le lendemain matin)
10 octobre — Les humains se sont réveillés sans cauchemar, sans ombre derrière la porte, sans frisson.
Les journaux rapportent une étrange torpeur générale.
Certains affirment qu’ils n’ont rien rêvé du tout.
Et cela, selon le Comte Draculea, est « le plus effrayant des résultats ».
J'adore l'ambiance et le ton. Le petit côté moral aussi ! Tu as de l'imagination et un bon rythme pour écrire !