Au début, c’était seulement un frisson dans le ventre.
Un petit tremblement, comme un spasme nerveux.
Un chatouillement, peut-être?
Juliette croyait à une carence, un vertige passager.
Mais le soir, le tremblement s’est déplacé.
Sous la peau, de bas en haut, insistant au lieu de sa chapelle secrète
Dans les plis et les creux cachés à tous… même et surtout à elle
Le frisson suivait la prière, comme un écho intérieur.
« Je suis blessée d’amour ; que ta main achève de me consumer »
Chaque fois qu’elle disait amen, quelque chose répondait juste là,
une chaleur, une pression, un engorgement soudain
Et tout à coup, un petit coup sec, sous les côtes, près du coeur, un pincement
Comme si le mot avait frappé, de l’intérieur et fait tressaillir son sang
« Une flèche d’or me perça le cœur et me laissa toute en feu du grand amour de Dieu »
Au troisième jour, sa langue s’est fendue.
Pas une blessure, une ouverture, nette, claire
Un filet rouge en forme de croix, pas même sanglant
La douleur était vive, mais derrière, elle a senti une fraîcheur étrange, presque douce. Un goût de figue et d’orange
Elle a pensé : la grâce.
Au quatrième, ses veines se sont mises à gonfler, comme si quelque chose y passait, lentement, obstinément.
Une vipère noire glisse sous sa peau, mord là où le sang pulse, soulève la chair en croûtes blanchâtres de fièvre.
Dans son ventre, ça roulait.
Ça montait jusqu’au cou, en vagues longues et rondes, la menant au point ultime d’une noyade par l’intérieur
Le soir, elle a senti une présence dans sa bouche, un souffle qui ne venait pas d’elle, amer, soufré et sa tête s’est tournée dans un craquement immense, jusqu’à voir l’envers des choses. Ses yeux roulaient dans leurs orbites, blancs, bleus, blancs, bleus…
« Brûle-moi, lave-moi, consume-moi, Seigneur »
Le cinquième jour, elle a entendu ses os craquer, un à un, comme si son squelette priait à sa place, se contorsionnait dans une danse lascive, ses membres pliés en angles improbables
Le sixième, elle ne dormait plus. Elle hurlait en permanence, sans voix, muette de plaisir, de douleur et de frayeur, bouche ouverte sur un râle trop grand
Ses paupières restaient grandes ouvertes, même quand elle fermait les yeux. Ses larmes coulaient en glaçons parfaits pour le whisky, coupant ses paupières en lamelles translucides
Le miroir lui rendait un regard qui n’était plus le sien.
Au septième jour, elle a ouvert la bouche.
Quelqu’un parlait dedans.
Une voix plus grave, rauque, qui récitait à rebours les versets qu’elle connaissait depuis l’enfance dans une langue ancienne et rocailleuse, dure et sans pitié
— « Non serviam »
Elle a tenté de plaider.
« Mon esprit s’élança hors de moi comme une flamme »
Mais la voix a ri. Trop fort.
Le huitième jour, elle a cessé de résister.
Sa chair se soulevait toute seule, déferlante sauvage, plage battue par un ouragan mauvais
Ses mains faisaient le signe de croix sans qu’elle le veuille, doigts enfonçés jusqu’au poignet. Et la voix riait dans sa gorge, jouissait dans ses entrailles éclatées dans un mouvement circulaire sans fin, la brisant droite sur les murs, la crucifiant d’une poigne écarlate sans merci.
À chaque coup de boutoir, la suie montait de ses pores, comme une fumée noire, l’entourant d’ombres et de ténèbres bientôt opaques comme un rideau de scène, cachant un plaisir pris malgré elle, son sourire grimaçant, toutes dents éclatées et sa prière muette — Encore, encore…. « mon Bien-Aimé, ma faiblesse est extrême ! »
Au neuvième, la maison entière tremblait.
Sur le sol, une empreinte brûlante dessinait un corps.
Le sien.
Et du ventre de Juliette, quelque chose s’est mis à sortir lentement, patiemment, comme une seconde peau qui n’aurait pas voulu attendre la mort pour naître.
Au matin, si quelqu’un avait osé s’y aventurer, il aurait retrouvé la maison vide, l’âtre froid.
Sur la table, une Bible ouverte.
Et, collé à la page de Job, un lambeau de chair encore tiède
Dans la cendre du silence, sous la table, une marque brûlante dessinait un sabot.
Satan dit à Dieu :
“Peau pour peau ! Tout ce qu’un homme possède, il le donnera pour sa vie.” (Job 2:4)