Le soir tombe, sombre, accablant, et l’air s’épaissit comme une suie invisible. Les cloches tintent d’un glas funèbre, tandis qu’on la traîne, pantelante, vers la place publique. Ses poignets sont meurtris, labourés par la corde qui serpente, s’entortille, se resserre. Ses doigts sont tordus d’avoir subi les pires tortures. Ses pieds nus heurtent les cailloux, chaque pas laissant une trace rougeâtre. Elle ne pleure pas. Pourtant, ses yeux sont noyés de larmes. Ils se fixent au ciel bas, saturé de nuages noirs — et ce regard, oh ! ce regard d’imploration, semble interroger une voûte muette, indifférente.
Autour d’elle, ils se pressent. Juges au front sévère, prêtres brandissant le crucifix, hommes aux visages convulsés, torses gonflés de haine, de désir frustré aussi. Leurs voix se confondent, rauques, haletantes, pareilles à la clameur d’une bête monstrueuse qui se nourrit d’elle-même. Sorcière… sorcière… Le mot revient, siffle, ricoche, enfle, jusqu’à emplir l’air d’une rumeur infernale.
On invoque mille fables : qu’elle parlait aux pierres, aux oiseaux nocturnes, aux sources cachées ; que ses yeux changeaient de couleur comme le ciel avant l’orage ; que son pain levait sans levain, comme animé d’une main invisible. Rien, rien sinon la peur. Et la peur suffit.
Elle baisse la tête. Ne nie pas. Ne se défend pas. Ce silence lourd, obstiné, abyssal enfièvre la foule plus que mille malédictions.
Alors vient l’épreuve. L’eau glacée la repousse, impassible, comme si son corps refusait de s’y dissoudre. Le fer ardent la marque, et l’air se déchire de l’odeur âcre de la viande brûlée. Elle s’évanouit. On la réveille à coups de gifles. Ses lèvres s’agitent, comme en prière. La foule croit qu’elle implore le Très-Haut, se signe, et tremble, mais d’un tremblement où la foi se mêle à l’effroi.
Puis le bûcher s’élève. Les fagots s’amoncellent, la corde se serre sur sa taille fine de jeune fille. Elle sourit, oui, elle sourit ! un sourire mince, pâle, sépulcral. Certains reculent, croyant voir une sainte. D’autres s’avancent, ivres de haine comme d’un vin empoisonné.
Les flammes jaillissent, mordent ses chevilles, dévorent sa robe. Au-dessus du crépitement, dans la fumée noire, monte une voix douce, caressante, presque angélique :
— Merci…
Le tumulte s’étrangle. Ce mot, si calme, si déplacé, suspend d’un coup toutes les bouches hurlantes.
Et dans cet abîme muet, elle murmure, voix de cendre et de vent :
— Vos cris m’ont façonnée . . . Vos peurs m’ont nourrie . . . En me condamnant, vous m’avez donné vos âmes . . . Pauvres fous !
Alors, ô horreur ! son sourire se brise en un rire rauque, convulsif, abyssal, qui éclate comme un tonnerre et s’élève avec la fumée. Le rire de la damnée. Le rire de la sorcière.