On la voit parfois au tournant menant au vieux pont, tout au bout de l’île.
Toujours seule. Toujours entre chiens et loups.
Toujours mouillée, même quand il ne pleut pas.
Elle ne cherche pas à faire peur, elle veut seulement qu’on la voie, qu’on la remarque.
Elle, si belle.
Vous l’avez déjà vue, vous ?
Elle vous a parlé ?
Non ?
Alors comment expliquez-vous cette buée sur votre vitre, ce froid dans vos doigts ?
Les phares la traversent comme une pluie inversée.
Un instant, elle semble réelle : la peau, les yeux, la robe collée au corps.
Puis plus rien…
Sauf ce froid qui reste sur le siège passager,
une petite tache humide s’effaçant bien vite.
Ceux qui se sont arrêtés disent qu’elle s’approche lentement,
qu’elle murmure un prénom étranger qu’ils ne connaissent pas,
pas le vôtre, non…
et que ses yeux, pleins d’eau, reflètent leur propre visage.
Aucun d’eux n’a su redémarrer tout de suite.
Certains n’ont jamais repris la route, tétanisés par la tristesse infinie qui émane d’elle.
Et ensuite, il n’y a plus que le silence.
Et le besoin idiot de regarder encore,
juste pour être sûr qu’elle n’était pas vraiment là.