Carnet d’octobre sur l’air du Horla —merci Monsieur Guy de Maupassant
(Lecture recommandée à la lueur d’une seule lampe ou bougie, si tu oses)
Depuis quelque temps,
la nuit ne vient plus du dehors.
Elle commence en moi.
Je la sens se lever sous ma peau avant même que le ciel s’assombrisse.
Elle rampe, patiente, s’installe dans mes veines comme un souffle étranger.
Quand j’éteins la lampe, ce n’est pas l’obscurité qui s’installe …
c’est une présence.
Elle ne fait aucun bruit.
Mais chaque objet respire.
Les murs, surtout, paraissent attendre quelque chose.
Je me suis surpris, hier, à écouter ma propre respiration.
Elle n’était plus seule.
Il y en avait une autre, calée juste sous la mienne.
Un souffle double, qui montait et descendait au même rythme,
comme si la nuit avait trouvé comment respirer avec moi.
Alors j’ai compris :
je ne dors plus dans la nuit.
C’est elle qui dort en moi.
je ne distingue pas le moment où elle arrive.
Elle est là, avant moi, parfois.
Je sens son poids dès que je m’assois,
une présence tiède, collée à mon ombre,
comme si j’étais devenu son abri.
La nuit n’est plus noire
elle a pris ma couleur.
Elle me suit jusque dans le jour.
Sous le soleil, elle palpite encore, derrière mes paupières.
Je l’entends bouger dans ma tête,
se retourner lentement,
comme un animal qui rêve.
J’ai tenté de la chasser
en laissant toutes les fenêtres ouvertes,
en dormant la lampe allumée,
en parlant tout haut pour couvrir son silence.
Mais elle s’adapte.
Elle sait attendre.
Chaque mot que je prononce, elle le répète,
une fraction de seconde après.
Ce n’est plus un écho :
c’est une réponse.
Hier soir, j’ai vu mon reflet me sourire avant que je ne bouge.
Alors j’ai compris.
Je ne suis plus le seul à habiter ce corps.
La nuit a trouvé un visage.
Et c’est le mien.
Je ne dors plus.
Ou plutôt… nous ne dormons plus.
Quand mes yeux se ferment,
je sens les siens s’ouvrir derrière.
Elle regarde à travers moi, patiemment,
comme si mon corps n’était qu’une fenêtre.
Tout ce que je fais, elle le refait.
Quand j’écris, elle guide ma main.
Quand je parle, elle goûte mes mots avant qu’ils ne sortent.
Et parfois, c’est elle qui parle.
Je le sais parce que la voix n’est plus à moi.
Elle est plus lente.
Plus grave.
Comme venue du fond d’un puits.
Cette nuit, j’ai compris ce qu’elle voulait.
Pas me faire disparaître, non.
Mais me remplacer.
J’ai senti ses doigts, invisibles, glisser sous ma peau.
Ils cherchaient une ouverture.
Une fente, une faille, un oubli.
Et ils l’ont trouvée, juste ici…
au creux de la gorge, là où bat la peur.
j’ai cessé de lutter.
Je lui ai laissé la place.
Une paix étrange m’a envahi,
tiède, presque douce.
Je me suis dissous dans son souffle.
Ce matin,
on a vu quelqu’un sortir de ma chambre.
On dit que c’était moi.
Mais moi, je sais.
C’était la Nuit.
Elle marche maintenant à ma place.
merci pour ce texte, j'aime beaucoup cette idée de penser à la nuit comme à une personne