Un son, un craquement, léger, presque inauble… Il provient de la toile vierge, en attente sur le chevalet. Il croit à la tension du châssis, mais le son s’étire, se module, devient une note tenue.
Un fa mineur, dira-il plus tard, bien qu’aucun instrument ne jouât dans la pièce.
Le lendemain, la note revint, mais elle avait changé de couleur. Sa lumière fine, jaune acide, traverse la toile de l’intérieur, frémis sur le blanc pur.
Quand il s’en approche, l’air vibre contre sa peau, comme une corde invisible.
Les jours suivants, chaque pigment fait entendre une voix. Le bleu gronde, le rouge gémit, le vert tremble de fièvre. La peinture respire. Et dans ce souffle, il y a une intention.
Plus tard, ce soir-là, une voix se manifeste. Pas dans la toile, mais dans le noir derrière ses paupières. Un timbre grave, tissée d’harmoniques sombres, sentant la poussière et le soufre. Une voix cornue, sertie de flammes rougeoyantes. Une voix qui, depuis longtemps, n’a plus pour paysage que les ténèbres de son âme.
« Ce que tu entends, je te le donne.
Mais il faudra me rendre la vue. »
Il veut rire, mais son corps reste muet. Soudain, la lampe vacille, s’éteint et le pinceau dans sa main bouge tout seul, traçant des lignes qu’il ne contrôle plus. Et dans ce mouvement venu d’ailleurs, la voix souffle encore :
« La figuration retient les âmes prisonnières de la matière.
L’abstraction, elle, les libère. »
Alors il comprend. Ce n’est pas une révélation divine, mais un pacte. Chaque toile doit devenir une porte, chaque couleur, un cri délivré. Il y gagnera un accès unique au monde, sous la forme de sens cachés.
Depuis cette nuit, il ne peint plus le monde, il peint ce qui veut en sortir. Les formes se dissolvent d’elles-mêmes, la matière refuse d’être figurée.
Dans le silence de l’atelier, quelque chose respire derrière la toile, et lorsqu’il ferme les yeux, il voit la couleur des notes, il goûte le chant des couleurs…
Merci à
et à Diacritik pour leur courriel du 14 octobre…
Des idées pourtant disparates ont trouvé ici, grâce à eux, un lieu où se rejoindre…
Wow Johanne! Tout le mérite te revient!