Hier, l’hôpital
Une journée hors-monde
Ma mère, 87 ans. Active, ne tient pas en place, et têtue. Depuis un mois, elle s’essouffle au moindre effort. Rien n’a aidé : ni les antibiotiques, ni le temps. Hier, l’urgence s’est imposée, son taux d’oxygène se trouvant autour de 70%.
L’hôpital vibrait comme un organisme fatigué : machines qui bippent sans relâche, personnel débordé mais attentif, médecin au débit presque irréel, rapide et rassurant à la fois. Diagnostic : emphysème d’ancienne grande fumeuse, problème connu mais stable, et de l’eau sur les poumons, un cœur trop grand, on ne sait pas encore pourquoi.
Je me tenais près d’elle, attentive à chaque détail. Les chiffres à l’écran, la pâleur de sa peau, ses confusions dans la chronologie de ses malaises, le rythme de sa respiration. J’étais présente, concentrée, efficace même.
Et pourtant, à l’intérieur, rien ne se déplaçait.
Pas de peur, pas de tristesse.
Seulement un espace blanc. Une neutralité étonnante, rien ne s’effondre en moi.
C’est là que naît la dissonance :
tout autour de moi annonce un moment grave: l’hôpital, les mots médicaux, la fragilité du corps, l’idée de l’âge. Mais les médecins semblent confiants, les traitements fonctionnent déjà. L’ajout d’oxygène apporte une amélioration quasi instantannée. On parle de quelques jours d’hospitalisation.
Ce que je vis n’est pas un drame, juste un passage obligé. L’âge pose une ombre de gravité sur chaque malaise, chaque mal être. Mais je me sens en porte-à faux avec mes émotions ou plutôt avec leur absence. Je sais la gravité, je ne la ressens pas.
Entre ma mère et moi, il n’y a pas de lien affectif particulier. Elle ne l’a pas bâti, ne l’a pas entretenu. Elle a été dure, absente, autoritaire, ce qu’elle tente de nier aujourd’hui. Pour elle, ce qu’elle a donné et fait constituait sans doute “être une mère”. Elle a fait avec ce qu’elle avait reçu et a voulu me modeler à son image, fabriquer la personne qu’elle pensait que je devais être.
Le passé ne cherche plus à m’émouvoir : il est rangé, sans drame, sans vengeance. Juste les faits. Et ces faits ne créent pas d’attachement réciproque. Je ne me sens rien de commun avec cette personne qui est ma mère et qui ne m’a jamais comprise, mais plutôt empêchée. C’est un peu notre seul lien.
Mon frère, lui, a coupé. Peut-être plus honnête. Ou plus simple.
Moi, je suis restée. Je fais ce qu’on attend de moi: présence, aide, traduction médicale, petites attentions.
Et même ça, je le fais sans me perdre, sans m’émouvoir.
J’ai cette impression étrange de marcher dans deux réalités à la fois :
celle où tout paraît important, presque solennel, et celle où je suis neutre, calme, presque indifférente, parce que la fin n’est pas là, parce que le lien n’existe pas, parce que je suis fidèle à ce que je suis devenue.
Je suis rentrée hier soir, vidée. J’ai dormi neuf heures sans rêve. Ce matin, je regarde tout avec lucidité :
Il y a gravité autour de moi et calme en moi. Je ne suis ni attachée, ni détachée.
Je suis là. C’est tout.


Je ne sais pas quoi dire à part t'envoyer un hug virtuel. J'espère que l'écriture de ce texte t'as fait du bien 💓
Je peux comprendre. Je sais qu'un jour la mienne se manifestera à ce moment là, je n'irais pas. Tu es forte d'y être.