Au réveil, elle allume la radio: La voix du matin, le bulletin météo, les embouteillages sur la 40, le top 20 d’octobre 2012 en boucle. S’il y a un lieu où l’évolution est lente, c’est bien dans le monde de la radio.
Elle l’écoutait pendant qu’elle préparait son café, lavait sa vaisselle, sans attention particulière — un bruit de fond pour rompre le silence, un placebo à sa solitude.
Puis un jour, l’animateur a dit, entre deux considérations sur les embouteillages
« Beau soleil aujourd’hui, idéal pour repeindre ces armoires crème qui jaunissent un peu, non ? »
Elle a levé les yeux.
Ses armoires étaient crème. Et un peu jaunies.
Elle a ri, vaguement troublée.
Pure coïncidence, s’est-elle dit. Une formule passe-partout, peut-être. Elle avait sûrement raté le jingle de la compagnie de peinture, les idées ailleurs, n’écoutant pas vraiment.
Les jours suivants, il a insisté.
Toujours ce ton léger, faussement complice :
« On sait que tu aimes ton café sucré, mais trois cuillerées, vraiment? Voyons, ce n’est plus raisonnable à ton âge ! »
Puis le jour d’après…
« Un jogging gris, vraiment ? Il y a mieux pour se motiver, Caroline, allons! »
Elle a changé de poste, mais la voix revenait.
Sur 99.1, sur 88.7, sur toutes les fréquences.
Toujours le même rire, un peu trop près du micro.
Toujours ce tutoiement feutré, moqueur, ce ton mielleux.
Et toujours ces détails : la nappe tachée, le bol fêlé, les miettes sur le comptoir.
Elle a débranché l’appareil, déplacé la radio dans le salon, rebranché le tout.
La voix s’est tue un moment.
Puis, exactement quand elle a repris sa tasse :
« Tu trembles encore, ne te fâche, voyons, Caroline! Ce n’est pas bon pour ta pression »
Elle a laissé tomber le café.
Le lendemain, elle a allumé par réflexe.
Silence.
Puis, au milieu d’une chanson pop, la voix a murmuré, plus basse, presque tendre :
« Tu crois qu’on ne te voit pas quand tu manges la nuit ? »
Une pause.
« Tu crois que personne ne sait ce que tu caches dans le tiroir du buffet ? »
« Va te faire foutre », a-t-elle dit, colère rentré, frayeur totale.
La voix a ri, douce comme une caresse.
« Allons, Caroline… tu ne penses pas ce que tu dis. »
Elle a arraché le cordon, sorti l’appareil dans le jardin, l’a noyé sous le jet du boyau, l’a finalement mis aux ordures.
Le soir même, la télé s’est allumée seule, volume au maximum.
Une image neigeuse. Un fond sonore de statique.
Et une voix, claire, reconnaissable, qui disait :
« On ne ferme pas la porte aux amis comme ça, allons! »
L’écran grésillait encore quand elle a tourné la poignée.
Elle a fui sans se retourner, laissant la lumière bleue danser sur les murs.
Depuis, elle a déménagé, elle évite les bruits de fond.
Pas de radio, pas de télévision, pas même de musique dans son nouvel appartement.
Mais parfois, la nuit, elle croit entendre quelque chose derrière le ronron du réfrigérateur.
Un souffle modulé.
Un murmure sur une fréquence trop basse pour être humaine.
Et, très distinctement, une phrase, toujours la même :
« Tu nous manques, Caroline. Rebranche-nous. »
et dans sa tête, un air connu, légèrement différent…