Il y a des pertes qui ne font pas de bruit. Elles ne se vivent pas comme un drame mais comme une transformation, un glissement irréversible. Ce texte est un fragment de journal, une tentative de dire ce qui s’efface… et ce qui prend la place.
Je crois que j’ai perdu quelque chose au fil du temps.
Je crois que j’ai perdu quelque chose en me racontant.
Le psy a tout pris, en a fait un ballon gonflé d’hélium, et a laissé le vent tout emporter.
Gauche, droite, le pendule, les tapotements, les sons.
Gauche, droite, les pas, les battements, les grattements.
Gauche, droite, le deuil de soi en différé.
Les colères ne viennent plus.
Je sais que si une revenait, elle me tuerait, mais ce n’est même pas pour ça qu’elles se sont tues.
Elles ne montent plus.
Elles ne m’habitent plus.
Ou c’est sous une forme édulcorée, pâle vestige des envolées à la Capitaine Haddock d’il y a longtemps…
L’alcool ne coule plus dans mes veines.
Mon Haddock personnel s’est noyé dans l’eau plate… remplacé par une héroïne un peu beige, Fanny Price des temps modernes
Je ne suis plus excessive.
Enfin… pas comme avant.
On me dit parfois que ça se sent encore, que ça bout en moi.
Mais je ne ressens rien.
Pas de débordement, pas d’excès, juste une ligne grise, un calme portant l’anxiété à bout de bras, loin du soi, mais si peu.
Les débordements se font rares, et minimalistes.
Flamboyante, je l’étais.
Je ne le suis plus.
Les cheveux gris ont remplacé le cuivre, puis le blond platine.
Choix et âge mêlés.
Une façon d’accepter la disparition de l’éclat, ou de l’enterrer volontairement ?
Pour le rendre évident ou pour m’y glisser enfin, faire un avec l’image ?
J’écris, oui.
Mais sans y croire.
Sans ce feu d’autrefois.
Les phrases sortent, mais ce ne sont plus des lames, ni des flammèches, juste des suites de mots qui tiennent debout comme moi : sans éclat, mais debout.
Et puis quoi ?
J’ai perdu l’éclat, les colères, l’excès.
Mais qu’est-ce qui a pris leur place ?
Un calme étrange.
Pas la paix, non.
Plutôt une neutralité bien installée, comme une pièce où tout est en ordre mais où personne n’habite.
J’entends les bruits de la planète, je les vois, je les comprends, mais ils ne me traversent plus de la même façon.
Avant, chaque regard, chaque mot était une étincelle.
Maintenant, c’est une lueur pâle, vite éteinte.
Je sais que je ne changerai pas le monde.
Et peut-être que c’est ce monde, désormais, qui ne me change plus.
Il n’y aura pas de retour au même.
Il y aura autre chose.
Je ne sais pas encore quoi.
Je sais que je suis prête.