Cabane
Au voleur!
elle m’a dit de voler
un texte ou autre chose?
Je suis venue sans sac.
La cabane sent le désinfectant et le thé trop infusé.
Il y a des couvertures partout, une douceur stratégique.
Quelqu’un chante bas, comme on se ment à soi-même.
Quelqu’un observe, immobile, déjà en train de compter.
Je ne prends pas les mots.
Je prends ce qu’ils protègent.
Sur un mur, un visage d’un autre siècle sourit trop blanc.
Il reçoit des baisers sans consentir.
Il survivra au rouge vin des lèvres, aux traces de salive trop acide
Des bras soignés avec méthode, la même qui a servi à blesser
Des animaux ailés, s’installent sur les plaies ouvertes.
parce que pour voler, ça prends des plumes
La douleur comme ornement
On me demande ce que je ne laisserais jamais voler.
Je réponds à côté.
Toujours.
Le thé éclabousse, smudge l’encre de tes doigts
Rien ne s’efface, au contraire, ça prend de l’ampleur
S’étale partout, sur ta face, entre tes jambes, partout où tu mets tes mains de voleuse
Alors je cède quelque chose qui respire.
Un chien qui n’est pas le mien
Un chien trouvé,
errant, stressé, gelé
On l’imagine déjà renommé, décoré, discipliné.
Utile.
Capable de creuser exactement là où il faut.
Pour enterrer ce qui dépasse, ce qui dérange
Ce qu’on veut cacher, garder pour soi
Afin que nul ne s’en empare
Je cède ensuite ce qui coûte moins cher, les choses de peu de valeur, les pendants obscurs contrepoids nécessaires ou pas
les erreurs, les doutes.
La monnaie faible.
Quelqu’un sourit.
Quelqu’un écrit.
Les brouillons sortent.
On dresse mon portrait à partir de ce qui fuit.
On caresse les fissures derrière les phrases propres,
l’assurance performée,
l’esprit vif.
Je dis : mes carnets.
On rit doucement.
Ils sont déjà là.
Une boîte déborde sous le mur.
Projets avortés, idées trop grandes pour moi, rêves maintenus en suspens par confort théorique, un musée soigneusement catalogué.
Je n’ai jamais été aussi lisible.
Je propose un livre. Puis un autre.
Je me trompe exprès. Les pages sont arrachées. Les couvertures salies.
Lus et relus, vidés de leur propos
Mais qui donc les a volé?
On attend.
Que je cesse d’imiter.
Que je parle enfin sans permission.
Je dis le cœur.
Quelqu’un se prépare.
Miroir.
Peau ajustée, bien tirée
Odeur calculée, romarin et vin blanc
Lingerie comme argument.
Appelle le silence
On ne vole pas un cœur.
On l’épuise.
Ou on le convainc qu’il a choisi.
Je dis : elle. elles
Elles pensent avoir gagné.
Je les laisse.
Le vrai reste hors champ.
Inscriptible.
Inaliénable.
Le vol a eu lieu.
Mais pas dans ce sens.
Le silence se resserre.
Je laisse faire.
On me demande si elle répondrait pareil.
Je dis oui.
Cette fois, sans me justifier.
Déjà on croit l’entendre dans mes phrases.
Déjà on croit la voir partout.
Je laisse l’illusion travailler à ma place.
La cabane a changé de centre, pensent-elles.
Elles se trompent.
Elles ont pris ce que je leur ai donné.
Ce que je voulais perdre.
Ce qui pesait.
Le reste ne se vole pas.
Le reste ne s’écrit pas ici.
Je sors sans bruit.
Le texte est vide de moi.
Et c’est exactement ce que j’étais venue faire.
Ce que j’ai volé était dans Six lignes et puis la possession et Qu’est-ce que tu ne me laisserais jamais te voler?





la cabane respire encore
le parfum de tes plumes
le parfum de ton encre
le parfum de ton vide
le parfum de cette aorte qui ne t’appartient plus qui ne t’a jamais appartenue qui compose un si joli pendentif à mon nom
tu peux revenir souper quant tu veux j’ai du vin blanc du romarin frais et des abats pour des siècles et des siècles.
amen 🖤
Ce fut un vol presque parfait…