Sous la surface, un peuple silencieux tisse le monde.
Il relie les vivants, recycle la mort, entretient le passage.
Rien ne naît, rien ne meurt : tout circule.
Tout a commencé par une odeur qu’elle n’arrivait pas à nommer, quelque chose d’humide, de vivant, qui s’attardait dans la cuisine même après qu’elle eut lavé, frotté, rincé trois fois le même endroit sous l’évier.
Elle a trouvé là une petite tache blanche, ronde comme un souffle, un peu fuzzy… et quand elle l’a écrasée du bout du doigt, ça s’est affaissé avec un bruit mou, comme une respiration qui s’éteint, pschuiiit.
Le lendemain, il y en avait d’autres. De petites formes veloutées qui revenaient chaque matin, un peu plus nombreuses, un peu plus sûres d’elles. Elle a désinfecté, ouvert les fenêtres, l’air a semblé plus lourd encore, une moiteur vivante.
Le garçon, lui, n’a rien remarqué. Treize ans, il mange dans sa chambre au sous-sol, laisse les bols et les verres sur le plancher, trouve même l’odeur rassurante. Il dit qu’il aime ce silence-là, celui du bois qui craque sous ses pas, ce son épais comme un souffle qu’il croit entendre venir du sol.
Les jours passent et la maison se couvre d’une douceur étrange, d’une tiédeur de forêt après la pluie. Autour de la baignoire, de minuscules pousses roses sont apparues, fines comme des doigts d’enfant. Elle les observe longtemps, fascinée malgré elle. Il y a dans leur couleur quelque chose de tendre, presque beau. Elle frotte, rince, désinfecte, jusqu’à ce que tout disparaisse. Mais, quelques heures plus tard, les doigts sont revenus, un peu plus nombreux, un peu plus assurés, comme s’ils savaient qu’elle allait revenir.
Dans la chambre de son fils, l’air est plus chaud, plus dense, et la nuit, il sent sous sa peau des picotements qui l’apaisent, comme si quelqu’un lui caressait les veines de l’intérieur. Au matin, il se lève lentement, sans douleur, mais la gorge lui brûle un peu. Quand il tousse, de la poussière dorée s’échappe de sa bouche. Elle dit que c’est la poussière du plancher, lui répond que c’est juste de l’air. La maison respire, voilà tout. Il se tient plus droit, plus calme, et la chaleur qu’il dégage semble gagner les murs, les objets, jusqu’à elle.
Une nuit, elle se lève, ouvre la porte de sa chambre, et l’air qui en sort est tiède, vivant, presque doux. Il est là, assis par terre, torse nu, les yeux mi-clos. Sur son épaule pousse une tige blanche, fine, qui tremble légèrement. Elle avance sans crier, fascinée par la beauté de cette chose. Il la regarde, sourit, et la poussière dorée s’élève entre eux. Elle la respire sans s’en rendre compte. Une chaleur lente lui envahit la poitrine, et tout à coup, elle comprend qu’il n’y a plus de frontière entre le propre et le vivant, plus de peur ni de dégoût, seulement un calme immense.
Elle ferme les yeux. Dans sa tête, quelque chose pousse, doucement, et elle se sent, pour la première fois depuis des années, parfaitement à sa place.